Bernie Sanders veut gagner la «bataille de New York»


Bien que distancé dans les sondages pour la primaire de New York du 19 avril, le candidat démocrate a mis en branle un mouvement social. Il croit toujours en sa chance de battre la candidate de l’establishment Hillary Clinton
Peut-il aller jusqu’à provoquer une révolution outre-Atlantique? Bernie Sanders attire les foules à New York à quelques jours de la primaire du 19 avril qui pourrait être déterminante dans la course à l’investiture démocrate. Au Washington Square Park mercredi soir, 27 000 personnes sont venues l’écouter. C’est davantage que Barack Obama en 2007. A d’autres meetings, des dizaines de milliers d’aficionados boivent les paroles de Sanders, fatigués par une démocratie qu’ils jugent pris en otage. Le «socialiste démocrate» vient de remporter sept des huit derniers caucus. A voir la passion avec laquelle nombre d’étudiants et des plus âgés défendent la candidature du sénateur du Vermont pour la présidentielle de novembre, plus personne n’oserait la qualifier «d’anecdotique». Un mouvement social s’est mis en branle.
Bernie Sanders, 74 ans, met le doigt sur les problèmes qui minent la démocratie américaine: omniprésence de l’argent, influence démesurée de Wall Street, explosion des inégalités sociales. Contrairement à son adversaire démocrate Hillary Clinton, 68 ans, qu’il juge sous la coupe de Wall Street, il appelle à démanteler les banques «too big to fail». Il vient d’avoir un soutien inespéré de la Federal Reserve qui déclarait mercredi que cinq des huit plus grandes banques du pays n’ont pas pris des mesures suffisantes pour éviter tout risque systémique. Pour Michel, un Français de Toulon vivant à New York depuis des années, c’est un fait: «Bernie Sanders, c’est l’expression politique d’un mouvement social comme Occupy Wall Street.» Son équipe de campagne dispose d’une organisation de terrain remarquable. Des courriels invitant à aller frapper aux portes dans plusieurs districts de New York, des textos personnalisés: on croirait revivre la campagne électorale de Barack Obama en 2008.
Jeudi soir, lors d’un débat télévisé organisé dans les anciens chantiers navals de Brooklyn, le «Brooklynite» Sanders, qui a toujours mis un point d’honneur à mener une campagne électorale positive a perdu son calme face à une Hillary Clinton qui n’est jamais avare de propos virulents à son encontre. Evoquant la «Crime Bill» de 1994, une loi adoptée sous Bill Clinton pour lutter contre l’explosion de la criminalité dans les villes américaines, qui avait eu pour conséquence l’incarcération de masse de petits délinquants, le sénateur démocrate s’est lâché, estimant qu’en tant que First Lady, Hillary Clinton avait défendu la loi et «utilisé un terme raciste» en parlant de «super-prédateurs» au sujet de jeunes criminels noirs. Bernie Sanders avait lui aussi approuvé la loi, mais pour «d’autres raisons». Sa diatribe ne changera pas la donne: l’électorat afro-américain va voter en grande majorité pour la démocrate. Le ton de la campagne du sénateur est cependant en train d’indisposer même certains de ses partisans. Mercredi au Washington Square Park, Paul Song, un membre de l’équipe a franchi ce que certains estiment être une ligne rouge: la création d’une couverture médicale universelle ne sera jamais possible «si nous continuons à élire des putes démocratiques inféodées à Wall Street». Le sénateur du Vermont a dû vite se distancier de tels propos sur Twitter.
La campagne pour l’investiture démocrate n’a peut-être pas atteint encore le paroxysme des primaires de 2008 entre Barack Obama et Hillary Clinton, mais elle devient plus méchante. Dans un journal imprimé exprès pour la primaire de mardi intitulé «The Battle (bataille) of New York», Hillary Clinton en prend pour son grade. Le journal fustige la proximité entre l’ex-secrétaire d’État et Henry Kissinger dont le bilan a la tête de la diplomatie américaine est dépeint en termes dévastateurs. Glenn Greenwald, l’ex-journaliste du Guardian ayant contribué à la publication des documents du lanceur d’alerte Edward Snowden a lui aussi pris la plume. Il le dit sans ambages: «Un vote pour Hillary Clinton est un vote pour Donald Trump.» Son argumentaire: incarnation emblématique de l’establishment, cette dernière ne peut pas battre le milliardaire dont le succès provient précisément de sa condamnation de l’establishment. L’intellectuel noir Cornell West est dithyrambique à propos de Bernie Sanders que d’autres qualifient pourtant de doux idéaliste: «Il est temps d’écouter sa voix prophétique.»
Le mouvement Sanders ne va pas s’arrêter à New York. Mais à en croire les sondages, la victoire mardi prochain paraît promise à l’ex-secrétaire d’État. 291 délégués et 44 super-délégués sont en jeu dans l’optique des 2383 qu’il faut obtenir pour être choisi candidat officiel.